le père caffarel

Le Cardinal Jean-Marie Lustiger parlait de lui comme d’un « prophète du 20e siècle ». Il avait ainsi conscience de faire « du neuf pour l’Église ».

I. Sa vie et ses fondations

1. Vocation et ordination sacerdotale

Né le 30 juillet 1903 à Lyon, Henri Caffarel est baptisé le 2 août 1903 et ordonné prêtre le 19 avril 1930, à Paris. Il meurt le 18 septembre 1996 à Troussures où il est enterré. Il a fait inscrire sur sa pierre tombale cette parole du Christ au jeune homme riche de l’évangile selon Matthieu : « Viens et suis-moi « . Cette injonction du Seigneur est l’expression de ce qui va orienter toute sa vie : suivre le Christ à travers les rencontres ou les événements que la Providence mettra sur son chemin.

En effet, il fut saisi par Dieu en mars 1923 : « À vingt ans, Jésus-Christ, en un instant, est devenu quelqu’un pour moi. Oh ! Rien de spectaculaire. En ce lointain jour de mars, j’ai su que j’étais aimé et que j’aimais, et que désormais entre lui et moi ce serait pour la vie. Tout était joué ». Le jeune Henri Caffarel a rencontré « Quelqu’un »., il Le suivra toute sa vie.

Sa vocation de n’appartenir qu’à Dieu l’invita à entrer chez les Trappistes. On lui conseilla plutôt le séminaire, mais il gardera toute sa vie une nostalgie inguérissable de la vie monastique : « Si je n’avais pas ressenti profondément cet appel à la vie de prière, je n’aurais pas éprouvé le besoin de prier quotidiennement et de me réserver chaque année plusieurs semaines de vie silencieuse et solitaire. Si mon sacerdoce a eu quelque efficacité, je sais que je le dois à la pratique de l’oraison » dira-t-il. Toute sa vie découle de ce secret ancré en lui.

Le 19 avril 1930, ordonné prêtre par le cardinal Verdier et incardiné dans le diocèse de Paris, il exerce d’abord son ministère au secrétariat de la Jeunesse ouvrière chrétienne (J.O.C.) puis à celui de l’Action catholique générale avant sa nomination en 1940 comme vicaire à Saint Augustin à Paris.

En 1936, il quitte toute fonction officielle pour se mettre au service des couples chrétiens et les aider à retrouver le sens profond de leur sacrement de mariage. Il propose des retraites spirituelles pour les couples : c’est une révolution pour l’époque ! La spiritualité conjugale n’existait pas, ce sera le début des « fondations ».

Henri Caffarel est touché par l’amour du Seigneur. Son ministère sera au service de l’amour, « être aimé et aimer ». L’amour du Seigneur est pour lui source de dynamisme et de vie. Il est d’emblée en harmonie avec les couples désireux d’épanouir leur amour à la lumière du Seigneur. Quelle que soit l’œuvre entreprise, le Père Henri Caffarel aura un seul but : mettre chacun devant le Seigneur, à l’origine de toute vocation.

Quand il commente sa rencontre fulgurante avec le Seigneur et confie que « Tout était joué », voilà bien une conclusion à sa manière : il n’y a plus à discuter, on obéit, on travaille, on ne s’enfle pas des services rendus, et, quand c’est fini, on s’en va… Rigueur, exigence, précision dans les détails, volonté d’aller jusqu’au bout, regard concret sur les événements et les êtres, capacité de se délester de tout ce qui ne va pas dans le sens de ce qu’il « voit » : tel est l’état d’esprit du Père Henri Caffarel face à toutes ses œuvres fondatrices.

2. Fondateur

Fondateur du mouvement des veuves en 1943

Dans les années 1940-50, il fonde le groupement spirituel des Veuves : « Institut séculier de veuves ». Comme toujours, il n’a pas « l’idée » de ces fondations : on lui expose le désir d’une vie sainte, alors il discerne, il encourage, il accompagne. Il entame une réflexion avec des jeunes veuves de guerre et lui apparaît que la mort de leur époux ne rompt pas leur union qui survit pour l’éternité. Cette réflexion aboutira, d’une part, à la restauration du rituel de la consécration des veuves, et d’autre part, à la naissance de deux mouvements : Notre-Dame de la Résurrection (1943), et le groupement spirituel des veuves, Espérance et vie (1946).

Fondation des E.N.D. (1939-1949)

Il répond à nouveau à l’appel de personnes, cette fois-ci, quatre jeunes foyers parisiens qui veulent affermir leur couple dans le Seigneur. Il amorce avec eux une réflexion sur le sacrement de mariage avec ces leitmotiv :

  • « L’exigence de sainteté vous concerne. Pour y répondre, vous avez un sacrement à vous, celui du mariage ».
  • « Il s’agit de se donner l’un à l’autre pour se donner ensemble. Si le couple est habité par la charité divine, il va s’ouvrir ».

De petites équipes se fondent rapidement, c’est la naissance des Équipes Notre-Dame (les END). Ce mouvement de spiritualité a pour but de conduire les époux chrétiens à la perfection de leur état de vie, à la sanctification dans le mariage.

En 1942 ils essaiment en province, se dotent d’une charte le 8 décembre 1947 et sont reconnus en 1992 par le cardinal Pironio, président du conseil pontifical pour les laïcs en tant qu’ « association de fidèles de droit privé ». Le mouvement se répand très vite dans le monde entier pour compter aujourd’hui 75 000 couples répartis dans 70 pays. Le Père Caffarel en assumera la direction spirituelle jusqu’en 1973.

Fondation des Centres de préparation au mariage, dits C.P.M. en 1956

Remontant à la source du mariage pour poser les bons fondements d’une vie conjugale, il fonde les CPM (Centres de Préparation au Mariage) mettant en œuvre une véritable préparation au mariage, totalement innovante à l’époque. Ils se sont ensuite développés sous l’intuition de son premier aumônier, le Père Alphonse d’Heilly qui leur a donné une dimension nationale et internationale en lien avec les Églises diocésaines.

3. Prophète du mariage

En mobilisant son attention sur les couples, les familles, il a prodigieusement anticipé le renouvellement de la compréhension du sacrement de mariage qui sera développé bien après le concile de 1965. Il a magnifié la dignité de l’amour humain à une époque où personne ne soupçonnait encore combien il serait menacé par l’évolution même des mœurs et de la culture. Il a anticipé le souffle du Concile Vatican II sur la vocation à la sainteté des laïcs de façon étonnante. Il a pu anticiper la nécessité de donner une force surnaturelle à l’humanité de notre vie pour qu’elle soit capable d’affronter les crises à venir.

Fondateur de l’Anneau d’or en 1945

Après les publications, « Lettre à des jeunes foyers » en 1942, il fonde « l’Anneau d’or », revue de spiritualité conjugale, d’audience internationale, qui paraît régulièrement jusqu’en 1968 et qui constitue un véritable testament spirituel pour les générations suivantes. C’est dans cette revue qu’il lancera le fameux « devoir de s’asseoir », qui consiste pour les époux à prendre régulièrement du temps pour faire ensemble, sous le regard de Dieu, le point sur leur amour.

Il a su fonder une spiritualité conjugale vivante et vivifiante. Le Père Caffarel voulait que la grâce de l’amour de Dieu puisse être active en tous et que chacun comprenne la grandeur du mariage. Il aimait à dire :

  • Vivre l’Évangile dans la vie de couple, tel est le chemin de Sainteté.
  • Un vrai foyer chrétien, c’est une grande œuvre de Dieu.
  • L’éclat du Sacrement de Mariage est le reflet de l’immense tendresse qui unit le Christ à son Église.

Texte du père Caffarel sur l’amour des époux et l’amour de Dieu

Combien souvent l’amour des époux, l’affection entre parents périclitent, précisément parce qu’on néglige de les entretenir et approfondir. Nos amours humains exigent des rencontres, des échanges, des moments de cœur à cœur. C’est vital.

De même pour l’amour de Dieu. Il dépérit dans l’âme du chrétien qui ne se ménage pas chaque jour des moments de rencontre avec son Seigneur, moments d’échanges, d’intimité, c’est-à-dire de prière. C’est non moins vital. Et qui me rétorque : « Mais où voulez-vous que je trouve le temps de prier ? » me laisse rêveur… Toute la question est de savoir si c’est vital de manger, toute la question est de savoir si c’est vital de prier ».

Votre foyer rendra témoignage à Dieu de façon plus explicite encore s’il est l’union de deux « chercheurs de Dieu » selon l’admirable expression des psaumes. Deux chercheurs dont l’intelligence et le cœur sont avides de connaître, de rencontrer Dieu. Des passionnés de Dieu impatients de lui être unis, pour qui Dieu est la grande réalité et que Dieu intéresse plus que tout. Dans un tel foyer, tout est vu et conçu en fonction de Dieu. Et je ne parle pas en théorie. Combien j’en connais, parmi vous, de ces vrais chercheurs de Dieu en qui vibre une corde secrète quand, devant eux, le nom de Dieu est évoqué. Un tel foyer est un lieu de culte : mari et femme y sont ces « adorateurs en esprit et en vérité », tel que les veut le Père (Jn. 4, 23) … ».

4. Maître spirituel : la prière de l’oraison à Troussures de 1966 à 1996

Prière

Homme d’action, il n’en est pas moins resté toujours un contemplatif. Impressionné de constater que si peu de chrétiens étaient entrés dans la prière de l’oraison, il voulut proposer à tous l’expérience d’une intimité avec Dieu dans la prière silencieuse. Lui-même disait : « J’attribue vraiment tout dans ma vie à la prière ». N’ayant plus de responsabilité dans les END, il s’est retrouvé disponible pour mettre son zèle apostolique au service de l’apprentissage à la vie spirituelle intérieure.
Fonder cette école de prière nécessitait de disposer d’une grande maison pour accueillir des « chercheurs de Dieu ». Au même moment, l’Association des Amis du Père Doncœur souhaitait donner la propriété de Troussures à une œuvre qui serait d’Église. Connaissant le Père Caffarel qui était venu prêcher des retraites pour des couples auparavant, elle lui a proposé et c’est ainsi que le Père Caffarel s’installa à Troussures et se lança dans cette nouvelle aventure de fondation.

La maison de Troussures

En 1966, à 66 ans, il arrive dans ce lieu exilé de Paris pour y passer les 30 dernières années de sa vie. Il rénova toute la maison dans sa structure et son confort : il refit toutes les toitures, installa le chauffage central, segmenta les grandes chambres en petites cellules avec lavabo, transforma l’école de Montjoie en chambres, réaménagea le parc, etc. Et tout ceci, en s’appuyant uniquement sur la Providence pour financer ces vastes chantiers. L’enjeu était d’accueillir chaque semaine de l’année une quarantaine de retraitants afin que chacun puisse vivre la semaine de prière seul avec Dieu, dans le grand silence, nourri des enseignements et des liturgies.

Semaine de prière

L’intuition des « semaines de prière » consista à vivre six jours de prière et de formation à la vie intérieure, corps et âme, dans un silence complet. Y participeront vingt-cinq mille personnes – laïcs, jeunes et adultes, prêtres, religieuses – venues du monde entier. Les membres des Équipes Notre-Dame en bénéficieront en premier lieu, mais très vite beaucoup de gens se sentiront concernés et marqués à vie. De nombreux témoins relatent que dans leur vie spirituelle « il y a un ‘avant’ Troussures et un ‘après’ Troussures ».

Le Père André Sève, assomptionniste et journaliste bien connu, fut saisi par cette expérience de la semaine de prière et il écrivit son livre « Trente minutes pour Dieu », qui aidera par la suite tant de chrétiens sur le chemin de la prière.

« Prière et action sont solidaires : la prière conduit à l’action, l’action ramène à la prière. Il faut vivre sa prière. Il faut prier sa vie ».

« Peu à peu, dans l’oraison, vous acquerrez le regard de Dieu sur les hommes et sur les évènements. Et l’amour que vous puiserez à sa source divine sera le moteur de votre action. Vous deviendrez artisan de justice, de paix et d’unité. En observant votre manière évangélique de vivre, des non-croyants peut-être découvriront une raison de vivre ».

Ecrivain

Fondateur des cahiers d’oraison : en 1958, il fonde les « Cahiers d’oraison » qui sont des cours d’oraison par correspondance se répandant dans le monde entier.

Ouvrages sur la prière : une quinzaine d’ouvrages sur la prière et le mariage, publiés aux Éditions du Feu nouveau (créées en 1946) et traduits en plusieurs langues. Les plus connus réédités aux Éditions Parole et Silence : 5 soirées sur la prière ; 100 lettres sur la prière ; Prends chez toi Marie, ton épouse.

5. Sa mort et sa béatification

Il eut beaucoup de difficultés à trouver un successeur à son école de prière. Après avoir recherché en vain pendant dix ans un prêtre qui pourrait continuer son œuvre, il se vit obligé d’abandonner son projet, d’arrêter les semaines de prière en janvier 1996 et de confier à la Providence l’avenir de Troussures. Finalement il la donna à la congrégation Saint-Jean qui y fonda un prieuré.
D’un « château » du 19e siècle, d’une « maison familiale » avec le Père Doncœur et d’une « maison de prière » avec le Père Caffarel, succède maintenant « un prieuré » porté par des religieux qui en ont fait un centre spirituel de retraites et de formation. Les frères de Saint-Jean ont dédié le prieuré à la Vierge Marie sous le vocable « Notre-Dame de Cana », nom du petit village de Galilée où Jésus fit son premier miracle au début de sa vie apostolique. Ce nom symbolise l’intention des Frères d’assumer l’héritage spirituel de cette maison dédiée :
  • depuis 53 ans aux couples, aux familles : c’est le mystère du sacrement de mariage que Jésus donne pour la première fois à Cana dans la symbolique de l’eau changée en vin, à savoir de l’amour humain (l’eau) transformé par l’amour divin (le vin nouveau).
  • pendant 30 ans à l’apprentissage de l’oraison : St Thomas d’Aquin commente ce passage de l’évangile de Jean en interprétant de façon mystique que cette transformation de l’eau en vin est le symbole de la prière chrétienne. Jésus reçoit l’eau de notre pauvre prière humaine pour la transformer en vin, sa prière divine. Et ce nouveau vin, précise l’évangile, coule en qualité et en surabondance !

Procès de béatification

Sa cause de canonisation a été ouverte par l’Archevêque de Paris le 25 avril 2006. La session de clôture de l’enquête diocésaine a eu lieu le 18 octobre 2014. Le dossier de la cause a été déposé à la Congrégation pour les Causes des Saints le 10 novembre 2014. Un miracle est aujourd’hui attendu pour que l’Église le reconnaisse bienheureux.
Prière pour demander la béatification du Père Caffarel
Dieu, notre Père, tu as mis au fond du cœur de ton serviteur, Henri Caffarel, un élan d’amour qui l’attachait sans réserve à ton Fils et l’inspirait pour parler de lui.
Prophète pour notre temps, il a montré la dignité et la beauté de la vocation de chacun selon la parole que Jésus adresse à tous : »Viens et suis-moi ».
Il a enthousiasmé les époux pour la grandeur du sacrement de mariage qui signifie le mystère d’unité et d’amour fécond entre le Christ et l’Église.
Il a montré que prêtres et couples sont appelés à vivre la vocation de l’amour.
Il a guidé les veuves : l’amour est plus fort que la mort.
Poussé par l’Esprit, il a conduit beaucoup de croyants sur le chemin de la prière.
Saisi par un feu dévorant, il était habité par toi, Seigneur.
Dieu, notre Père, par l’intercession de Notre-Dame, nous te prions de hâter le jour
où l’Église proclamera la sainteté de sa vie, pour que tous trouvent la joie de suivre ton Fils, chacun selon sa vocation dans l’Esprit.
Dieu notre Père, nous invoquons le Père Caffarel pour recevoir cette grâce de………………..
Prière approuvée par Monseigneur André VINGT-TROIS,
Archevêque de Paris, janvier 2006
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II. Une école de l’oraison

1. Les origines

La rencontre du Christ

Pour parler du Père Caffarel et de l’oraison, je voudrais d’abord vous parler du Père Caffarel lui-même et évoquer en premier lieu la rencontre qu’il fit du Christ en mars 1923. Le Père Caffarel nous en a donné deux récits. Le premier récit a été publié dans Panorama aujourd’hui en 1978. Dans sa brièveté, il dit l’essentiel : « Mars 1923. À vingt ans, Jésus Christ, en un instant, est devenu Quelqu’un pour moi. Oh ! rien de spectaculaire. En ce lointain jour de mars, j’ai su que j’étais aimé et que j’aimais, et que désormais entre lui et moi ce serait pour la vie. Tout était joué ».

Le second vient de la conférence d’adieu du Père Caffarel aux responsables de secteur des Équipes Notre-Dame, en 1973 : « Il y a pour moi avant ce mois de mars 1923, il y a après ce mois de mars 1923. Cela m’a marqué et, depuis ce jour, je n’ai qu’un désir : moi-même entrer plus avant dans cette intimité avec le Christ, et cet autre désir d’amener les autres à cela, parce que cela a été capital dans ma vie, cela m’a donné la joie de vivre, la grâce de vivre, l’élan de vivre. Aussi bien je ne peux pas ne pas souhaiter pour les autres cette rencontre avec le Christ vivant, cette découverte que Dieu est amour ».

Ces deux récits s’éclairent l’un l’autre. Dans le premier récit, déjà tout est dit : la soudaineté de l’appel – « en un instant » – la rencontre personnelle – « Jésus devint Quelqu’un » – la réciprocité de l’amour – « J’ai su que j’étais aimé et que j’aimais » – et enfin la radicalité : « Tout était joué ». Le second récit a plus d’élan, ce qui nous fait dire que le Père Caffarel raconte un évènement unique, qui lui est toujours présent et qui le fait toujours vivre !

Et il sera prêtre, comme il le dit dans l’émission Radio Canada en 1980 : « Il a été pour moi tellement Quelqu’un que je ne me suis même pas un instant posé la question de savoir si je pouvais le suivre sur des voies diverses. Aussitôt a surgi cette pensée de cette route sacerdotale pour le suivre ».

Le récit de sa rencontre avec le Christ délimite tout le champ d’action de sa vie et toute l’étendue de son œuvre.

La nostalgie du monastère

Henri Caffarel a alors pensé à donner totalement sa vie à la prière, en se retirant dans un monastère, la Trappe des Dombes, où il a demandé à être admis. Il y a au fond de lui une aspiration profonde à la vie contemplative, un élan vers Dieu qui aurait pu s’épanouir dans la vie monastique. Son directeur spirituel ne l’y poussa pas, ce désir demeura. Il le dit en 1973 à Jacques Chancel dans l’émission Radioscopie : « J’ai la nostalgie du monastère ! Je ne peux pas feuilleter un album sur les monastères du Moyen-Age ou entendre le mot “monastère” sans que cette vocation non réalisée éveille en moi une émotion profonde ; et peut-être bien que si je n’avais pas eu cet appel, je n’aurais pas été un prêtre ayant le souci de prier quotidiennement et peut-être bien que ma vie sacerdotale n’aurait pas eu grande fécondité… J’attribue vraiment tout à la prière dans ma vie ».

Le signe de la vérité de cette vocation contemplative est le fait qu’il a toujours cultivé une intense vie intérieure qui est le secret de la fécondité de son ministère. L’attitude fondamentale du Père Caffarel est d’être fidèle à Dieu, à ce moment original où il a pris conscience d’être aimé par Lui.

Se retirer à Troussures est le dernier moment de sa vie, mais il était en fait le premier dans l’intention. La vie du Père Caffarel montre ainsi une extraordinaire unité : le monastère désiré, le monastère resté caché en lui au cours de l’intense activité de sa vie de pasteur, enfin le monastère à Troussures où il a vécu dans le silence contemplatif jusqu’à la fin de ses jours. Un de ceux qui l’ont accompagné jusqu’à la fin de sa vie confiait : « Il s’intériorisait de plus en plus, il s’entourait de plus en plus de silence pour arriver à cette vie contemplative à laquelle il aspirait depuis sa jeunesse ».

La recherche sur le cœur profond

Pour parler de l’oraison selon le Père Caffarel, il est nécessaire de parler de sa recherche sur ce qu’il a appelé le ‘‘cœur profond’’. Voici le témoignage d’une jeune retraitante qui pointe l’essentiel de ce qu’elle découvrit à Troussures : « J’ai suivi ma première semaine de prière à Troussures, j’avais 22 ans. J’étais arrivée “bonne chrétienne” selon ses termes. Tout change : le Père Caffarel met un nom sur l’expérience toute nouvelle que je fais à ce moment-là : c’est l’éveil du cœur profond. Le Christ m’aime personnellement, j’accueille le don de sa Présence. Cette présence est au « cœur » et non plus ballottée au gré des caprices de mon mental ou de mes sentiments. J’apprends que j’ai un “cœur profond” ».
Le Père Caffarel a mené durant toute sa vie cette recherche qui touche à la fois à la  structure de la personnalité et à la capacité de l’homme à rencontrer Dieu. Pour lui, le ‘‘cœur profond’’ est ce que l’on appelle dans la Bible le ‘‘cœur’’, à savoir le centre de la personne, le lieu personnel et unique où le Seigneur habite et inscrit sa parole. Pour lui, plus profondément que le corps, que la sensibilité, que le mental, il y a ce “cœur profond ”.
À Troussures, il partait d’un schéma concentrique pour expliquer la structure de la personnalité et au centre de cette figure, le ‘‘cœur’’ :« Cette zone profonde dont je vous parle, c’est la plus ignorée et cependant c’est la plus importante de la personnalité humaine, parce qu’elle est le centre de la personnalité, le centre qui unifie toutes les facultés […]. Mais elle n’est pas seulement centre unifiant, elle est aussi source de toute la vitalité de la personnalité à tous ses étages  ». Et le Père Caffarel concluait : « Ce ‘‘cœur’’ que Dieu nous a donné pour entrer en rapport avec Lui, l’homme l’a perverti ; mais s’il accueille le Christ Sauveur, son « cœur  » se trouve purifié et renouvelé, il se met à vivre […]. Ce cœur, qui est le temple de Dieu devient de plus en plus sensible aux impulsions de Dieu et en lui grandit la faim et la soif de Dieu. […] Apprenons donc à rentrer dans notre cœur, l’oraison, c’est le grand moyen de cet apprentissage ».
Nous découvrons la profondeur et la finesse des recherches du Père Caffarel. L’expérience de l’être, l’expérience de Dieu, la mystique naturelle, la mystique chrétienne, le Père Caffarel était bien au cœur de ce que cherchaient ses contemporains en quête d’une spiritualité qui élève l’âme, qui permet la rencontre de Dieu.

 

2. Le Père Caffarel et l’oraison

Ces trois expériences de la vie du Père Caffarel m’ont permis de vous faire pressentir la figure spirituelle du Père Caffarel dans sa recherche continuelle de la vie avec Dieu, et dans sa mission : permettre à tous ceux qu’il rencontrait de « faire l’expérience de Dieu ».

D’abord, le Père Caffarel n’est pas le seul pasteur à avoir fondé son existence sur une solide vie de prière. Mais il y en a peu qui ont tellement œuvré pour partager ce trésor de leur vie spirituelle. Il a permis à une multitude de fonder leur vie chrétienne sur ce roc de la prière intérieure. Sensible aux signes de son temps et à l’aspiration à la spiritualité des hommes de son époque, il disait : « Au début que j’étais prêtre, je me disais : « Je parlerai de Dieu, de ce Dieu qui a un visage, de ce Dieu qui s’est incarné, de ce Dieu qui est Jésus Christ, de ce Dieu qui a tout donné pour les hommes », et puis après j’ai constaté que parler de Dieu, c’est tellement difficile ! Il faut faire plus, il faut faire mieux : il faut inviter les êtres à faire l’expérience de Dieu ». Plus qu’un enseignant, même si on parle de lui comme d’un Maître d’oraison, le Père Caffarel fut un guide, un passeur, un expert en humanité en même temps qu’un passionné de Dieu, habité par le feu de son amour qu’il voulait transmettre à tous ceux qu’il appelait « des chercheurs de Dieu ».

Ensuite, cette prière intérieure, il voulait la faire découvrir surtout aux chrétiens laïcs, hommes et femmes, mariés et célibataires. Il affirmait qu’elle n’était pas réservée aux clercs et aux moines ou moniales. Car, avant même Vatican II, il a montré que tout chrétien est appelé à la sainteté. Et comment vivre une vie d’homme ou de femme sur le chemin de la sainteté sans cette rencontre quotidienne avec le Seigneur dans le silence du « cœur profond » ?

Alors, comment résumer ce que lui-même a écrit dans les Cahiers sur l’oraison pendant 30 ans ? Comment présenter ce que lui-même offrait pendant une Semaine de prière de 6 jours aux retraitants de Troussures ? Comment donner un aperçu de ce que lui-même présentait dans le cycle de Cinq conférences sur la prière intérieure, à Paris dans les années 1970-1980 ?

Bien sûr, dans l’enseignement du Père Caffarel sur l’oraison, il y a des constantes, des incontournables, des leitmotiv. Bien sûr, comme il le dit, il se situe dans la grande tradition de prière de l’Église, dans celle de tous les grands saints qui l’ont vécue, qui l’ont enseignée à de multiples époques à leurs disciples. Mais il y a aussi sa découverte des sagesses d’Asie qui lui a donné l’occasion de formuler certains aspects, certaines pratiques.

Sans vouloir ni pouvoir épuiser le sujet, je préfère parler de jalons. Je reprendrai essentiellement les mots mêmes du Père Caffarel, sans en donner toujours la source, ce serait fastidieux. Je me vois mal essayer de redire ce que le Père Caffarel a dit ou écrit d’une manière inimitable ! Le Père Caffarel n’aime ni les recettes ni les méthodes pour entrer et demeurer dans l’oraison, mais il donne de nombreux enseignements pour nous faire comprendre intérieurement les enjeux et les modalités divines et humaines de cette rencontre unique. « Chacune de vos oraisons doit être une invention, une invention d’amour – j’entends invention au sens de découverte – une découverte de ce qui plaît à Dieu […], ce n’est pas la seule connaissance d’un art de prier qui vous renseignera sur ce que doit être l’oraison d’aujourd’hui ».

3. Quelques jalons

La place du corps dans la prière

Le Père Caffarel a longuement travaillé la place du corps dans l’oraison, en lien avec les techniques venant d’Asie, en étudiant l’hindouisme, le bouddhisme. Il a souvent parlé de ce sujet si important à son époque : « En réalité l’homme est une unité, un corps-animé, une âme-incarnée, c’est tout un. Je dirai donc non pas « le corps que j’ai », mais « le corps que je suis ». Le corps, c’est la face visible de la personne […]. Il faut être plus ambitieux encore et obtenir du corps qu’il apporte un concours positif à la prière. Qu’il fasse bénéficier l’esprit de sa vitalité, de son équilibre, de sa paix. Il lui revient d’initier l’esprit à la détente, à l’élan, à l’abandon, à l’offrande à Dieu. Il faut savoir en outre qu’il est riche d’énergies qui, captées, canalisées, fortifient l’esprit, le soutiennent dans son activité de prière ».
C’est l’homme tout entier qui s’engage dans l’oraison. À chacun de sentir l’attitude qui peut le mieux traduire sa prière.

 

Vous êtes attendu

Ici, un récit du Père Caffarel : « Connaissez-vous cette sensation de détresse lorsqu’à votre arrivée dans une ville inconnue […] personne n’est là pour vous attendre ? Mais qu’un visage joyeux vous accueille, que des mains se tendent, et vous voilà merveilleusement réconforté, délivré de la cruelle impression d’être un « étranger ».  Je voudrais qu’en allant à l’oraison vous ayez la forte conviction d’être attendu : attendu par le Père, par le Fils, et par l’Esprit-Saint, attendu dans la Famille trinitaire. Quand nous allons à Dieu, nous sommes toujours attendus. Mieux : nous n’avons pas fait quelques pas, que déjà Dieu vient à notre rencontre, à la rencontre de son enfant ».

Ce récit illustre bien les principes oratoires du Père Caffarel et le caractère concret de son enseignement. Il disait « une idée, une image, un sentiment ». Ici, cette idée est que Dieu est premier dans la prière, il est toujours là pour nous. Non seulement, il nous attend, mais il vient vers nous.

 

Je veux

Mais alors, que dois-je faire pour entrer dans cette oraison ? « L’essentiel de l’oraison ne réside ni dans le  » je sens », ni dans le « je pense », en quoi consiste-t-il ? L’essentiel, c’est le « je veux ». Ce qui revient à dire que l’oraison n’est pas affaire d’affectivité, n’est pas d’abord affaire d’activité intellectuelle, mais de cette orientation profonde que j’imprime volontairement à mon cœur. »  « Et s’il fallait donner un argument plus fort, plus décisif encore en faveur de l’oraison basée sur le « je veux », le voici : le « je veux ce que tu veux », c’est cela l’amour. Or, l’Écriture nous dit que c’est l’amour et l’amour seul qui nous unit à Dieu. Ainsi cette oraison fondée sur le « je veux » est une oraison d’union à Dieu. Je ne le sens pas, mais je le crois. Et cette oraison, grâce à ce « je veux », pendant tout le temps je m’y trouverai livré à l’action de Dieu qui travaille dans les profondeurs de mon être pour me faire plus heureux, plus vivant, plus spirituellement vivant ».
C’est la foi au Dieu vivant qui est le fondement de l’oraison, la foi en la présence agissante de Dieu. « Car avant d’être une activité de l’homme vers Dieu, la prière est comprise comme une activité de Dieu en l’homme ».
Il faut dès le début de l’oraison faire un acte de foi en la mystérieuse présence du Christ en moi, par exemple avec les paroles proposées par le Père Caffarel dans cette prière adaptée d’un hymne tamoul :
Ô toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur,
je crois, en ta présence
dans le fond de mon cœur
Ô toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur
laisse-moi te rejoindre
dans le fond de mon cœur.

 

Être présent à Dieu présent

Vient l’attitude fondamentale que je dois donner à cette volonté : être présent à Dieu présent. Établir la relation je/Tu, selon la formule chère au Père Caffarel. Pour établir cette relation avec le Christ, il importe de chercher à le connaître. Et c’est essentiellement dans l’Évangile que je peux le faire. Il faut y chercher et y découvrir « le centre d’où émanent les faits et gestes et les paroles du Christ, le cœur du Christ, l’amour ».
Il importe également de prendre conscience des sentiments du Christ à mon égard. Le Père Caffarel l’exprime dans l’émission de 1980 avec une conviction et une flamme qui sont l’expression de son désir le plus profond de nous communiquer cet amour du Christ : «Vous êtes aimés et vous êtes aimés personnellement. Et c’est cela qui change la vie des êtres le jour où ils découvrent qu’ils sont aimés de Dieu. Et je leur dis : « Vous êtes aimés de toute éternité parce qu’en Dieu, il n’y pas de succession dans le temps, vous êtes aimés personnellement et non pas d’une espèce d’amour anonyme, sans cela ce ne serait pas l’amour. Vous êtes aimés tels que vous êtes avec votre bien, avec votre mal, avec vos misères, avec vos vertus. Et vous êtes regardés de ce regard d’amour dont parle l’Évangile quand il note : Jésus le regarda et l’aima ».
En réponse, je dois m’offrir au Christ, « comme un drap déployé au soleil » selon une autre image que le Père Caffarel aimait. L’oraison est ouverture à Dieu, à l’action de Dieu, pour qu’il puisse me communiquer son être et sa vie : « Prier, c’est m’offrir à Dieu pour qu’il ait le loisir de me recréer » Et le Père Caffarel développait « Comprenez-vous maintenant pourquoi l’oraison vous est nécessaire ? Elle fait de vous, une demi-heure par jour, un pauvre. Soyez donc bienheureux ! Comprenez-vous pourquoi je vous disais que votre impuissance à l’oraison est un bienfait ! […] Elle vous oblige à adopter l’attitude du mendiant qui espère tout, gratuitement, de l’amour inusable de Dieu. Persévérez, je vous en prie, et vous saurez rester aux pieds du Seigneur, heureux d’être pauvre ».

 

C’est le Christ qui prie en moi

Mais le Père Caffarel montre que l’offrande au Christ va plus loin. C’est le Christ qui prie en moi : « L’essentiel de la prière chrétienne consiste, non pas tellement à l’heure de l’oraison, à fabriquer une prière, mais à rejoindre en soi une prière qui s’y trouve ; retenez ces deux mots : non pas fabriquer, mais rejoindre ».
Il nous introduit dans la prière du Chris en nous, avec une justesse de mots, une perception infiniment délicate du mystère qu’il nous découvre. Cet enseignement est constant : « Si le Christ est vivant en vous, il y est priant. Car pour le Christ, vivre c’est d’abord prier. Rejoignez-le ; saisissez, appropriez-vous sa prière. Ou plutôt – car les termes que je viens d’employer appuient trop sur votre activité à vous – laissez cette prière vous saisir, vous envahir, vous soulever et vous entraîner vers le Père. Je ne vous promets pas que vous la percevrez ; je vous demande seulement d’y croire et, en cours d’oraison, de lui donner, de lui renouveler votre pleine adhésion. Cédez-lui la place, toute la place. Qu’elle puisse s’emparer de toutes les fibres de votre être, comme le feu qui pénètre le bois et le rend incandescent. Prier, c’est exaucer la demande que le Christ nous adresse : « Prête-moi ton cœur » […] afin que je puisse faire surgir de toi la grande louange du Père ».

 

Dieu est notre père

Le Père Caffarel a souvent développé toute la profondeur du terme « Abba », par lequel le Christ s’adresse à son Père : « C’était, pour le Christ, une façon d’exprimer, d’affirmer devant les siens sa filiation divine, que d’emprunter ce terme Abba pour s’adresser à Dieu. Mais cette filiale et confiante familiarité, le Christ ne se la réservait pas comme un monopole, il l’enseignait à ses disciples : Dieu est notre père, notre réaction est une réaction d’amour filial. Le Père Caffarel aimait dire à ceux qu’il mettait en oraison ce verset d’Isaïe : ‘‘Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix pour moi, et moi, je t’aime’’.

 

Dimension ecclésiale de l’oraison

La prière chrétienne est la prière du Fils de Dieu, implantée au cœur de l’homme et vécue dans l’Église. Le Père Caffarel ne négligeait pas cette dimension ecclésiale de toute prière. « Le chrétien ne prie bien qu’en Église » disait-il. L’oraison nous permet de porter le monde dans notre cœur et de l’offrir à Dieu. Et elle change notre regard en nous donnant de voir le monde et l’Église avec le regard du Christ. « Quand tu pries, aime à prendre conscience que tu es de l’Église, dans l’Église. Sois uni à tous tes frères. » Et puisque le Christ est priant en nous : « Ainsi la prière qui monte de l’Église vers le Père, de l’orient au couchant, de jour et de nuit, n’est autre que l’Action de grâce éternelle du Fils » dit-il.

 

La conduite de l’oraison

Il y a aussi, bien sûr, dans l’enseignement du Père Caffarel la présentation de la progression dans la vie d’oraison : où prier, quand prier, combien de temps, comment débuter son oraison, comment la finir. Il a aussi enseigné les formes d’oraison, les incidents de parcours, les pièges à éviter, ‘‘les oraisons désertiques’’, les grâces sensibles. Je ne peux pas tout dire ! Mais le Père Caffarel affirmait avec conviction : « Pas plus qu’on ne devient ébéniste, musicien, écrivain, du jour au lendemain, pas plus on ne devient homme d’oraison sans un effort consciencieux ».

 

Il faut vivre sa prière et prier sa vie

Enfin, le Père Caffarel avait une formule pour parler de la fécondité de l’oraison : il faut vivre sa prière et prier sa vie. En effet, l’oraison oriente immanquablement vers l’action, vers les tâches dans la société et dans l’Église, « elle fait grandir en celui qui prie un désir toujours plus vif que vienne le règne de Dieu […] et quand l’oraison est vraie, elle amène immanquablement à assumer ses responsabilités dans l’Église et dans le monde ». Ensuite l’action tire ses qualités et son efficacité de l’oraison : « Le chrétien qui prie n’apporte pas seulement à l’action des énergies accrues, sa vie témoigne de la présence et de l’amour de celui qu’il rencontre à la prière ». Et le Père Caffarel ajoutait : « Cette action dans laquelle le chrétien s’engage le relance à l’oraison. […] Et puis, pourquoi ne serait-il pas légitime de retourner à l’oraison tout simplement, parce qu’on a besoin de trouver du repos ? » Le Père Caffarel dit ainsi l’urgence de vivre et d’enseigner la contemplation, source de toute connaissance de Dieu et de toute action apostolique.

 

La crypte lumineuse

Pour conclure, je souhaite vous lire une lettre du Père Caffarel. Elle s’intitule « La crypte lumineuse » :
« Pourquoi vous fatiguer à poursuivre Dieu comme s’il était extérieur à vous ? Il est en vous, au cœur de votre être. Présent, vivant, aimant, actif. Là il vous appelle. Là il vous attend pour vous unir à lui.
Dieu est là, mais c’est nous qui n’y sommes pas. Notre existence se passe à l’extérieur de nous-mêmes, ou du moins à la périphérie de notre être, dans la zone des sensations, émotions, imaginations, discussions… dans cette banlieue de l’âme, bruyante et inquiète. […]. Nous ignorons les sentiers de notre âme qui nous conduiraient en la crypte souterraine et lumineuse où Dieu réside.
L’oraison, c’est quitter cette banlieue tumultueuse de notre être, c’est recueillir, rassembler toutes nos facultés et nous enfoncer dans la nuit aride vers la profondeur de notre âme. Là, au seuil du sanctuaire, il n’est plus que de se taire et de se faire attentif. Il ne s’agit pas de sensation spirituelle, d’expérience intérieure, il s’agit de foi : croire en la Présence ; adorer en silence la Trinité vivante ; s’offrir et s’ouvrir à sa vie jaillissante ; adhérer, communier à son Acte éternel.
Peu à peu, d’année en année, la pointe de notre être spirituel affinée par la grâce deviendra plus sensible à la « respiration de Dieu » en nous, à son esprit d’amour. Peu à peu nous serons divinisés, et notre vie extérieure alors sera la manifestation, l’épiphanie de notre vie intérieure. Elle sera sainte parce qu’au fond de notre être nous serons étroitement unis au Dieu Saint, elle sera féconde et des fleuves d’eau vive s’échapperont de nous parce que nous serons branchés sur la source même de la Vie ».
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III. Témoignages sur la vie du Père Caffarel

1. Mgr Guy Thomazeau, Archevêque de Montpellier

Que dire d’un homme aussi réservé sans risquer de trahir sa mémoire ? Le P. Caffarel fut d’abord, pour moi, ce prêtre capable de saisir en un instant et de faire entrer dans le silence de l’oraison une salle de conférence archicomble.

Je l’ai revu de plus près à Rome, en 1976, et lors des premiers pas des Équipes Notre-Dame jeunes qu’il a encouragées. Un jalon décisif fut une entrevue chez lui, avenue César Caire, à son initiative où, à ma surprise, il m’adressait un appel en 1981 à me rendre libre pour les Équipes Notre-Dame dont il avait passé la responsabilité. Prêtre forgé par la fidélité à l’oraison, tout donné au service du Seigneur et de l’Église, apprenant que l’archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, m’appelait à servir comme vicaire général, dans l’instant il retira sa demande avec ce mot : « L’évêque a parlé, vous servirez bien ainsi ». Il m’invitait à répondre sans état d’âme à cet appel.

Mais ce qui a compté le plus dans l’approfondissement de nos échanges, ce furent nos entrevues régulières pendant les deux dernières années de sa longue vie, à partir de l’automne 1994. J’étais devenu évêque de Beauvais, par le fait même son évêque. Je m’échappais chaque mois dans le silence de la maison de Troussures pour souffler et prier. Henri Caffarel m’est apparu alors dans la fragilité de l’âge, habité d’une flamme intense, avec l’unique passion d’aimer et de faire aimer le Seigneur. Cela n’était pas sans souffrance pour lui, sans que cela entame l’espérance. Il observait avec effarement l’évolution de la société, la fragilité des couples y compris dans les familles profondément chrétiennes. Il était en outre éprouvé, comme sans doute tout fondateur. L’évolution des Équipes Notre-Dame lui semblait en rabattre sur l’ambition du chemin de sainteté qu’il avait ouvert avec les premiers foyers.

Avant de partir rejoindre en septembre 1996 les jeunes couples qui attendaient Jean Paul II à Sainte-Anne-d’Auray, le Seigneur a permis, dans une ultime rencontre, que je puisse offrir une dernière fois à Henri Caffarel l’assistance d’un prêtre. Il était important pour lui que ce fût son évêque. Par grâce, cette rencontre fut un moment aussi décisif pour lui que pour moi. J’ai eu la certitude que Notre-Dame veillait sur lui à l’heure où la mort approchait.

Henri Caffarel a été donné à l’Église avec le souffle prophétique qui l’habitait. Dans les turbulences de l’époque, le couple et la famille sont des lieux majeurs pour annoncer l’Évangile. La sainteté dans le mariage éclaire le chemin de la seule vocation qui ne déçoive pas en cherchant à aimer comme Jésus nous aime.

2. Témoignage de Mgr Lustiger

Homélie du Cardinal Lustiger lors de la messe célébrée le 27 septembre 1996, en l’Église de la Madeleine

« Frères et sœurs, mes Chers amis, Henri Caffarel a été ordonné par l’un de mes prédécesseurs, le cardinal Verdier ; et il n’a jamais cessé d’appartenir au presbyterium parisien, même si les chemins sur lesquels la Providence l’a mené lui ont donné un ministère exceptionnel.
Mais c’est aussi par reconnaissance personnelle qu’avec vous je parle pour lui ce soir. Je l’ai connu de loin, et pourtant de près, en recevant son enseignement et sa prédication. Je fais partie de cette génération qui a reconnu dans le Père Caffarel l’une des très grandes figures données par Dieu à son Église au cours de ce siècle. Ils sont quelques-uns (comment les énumérer sans risque d’injustice ?) dont la stature apostolique traverse cette époque ; souvent d’abord méconnus, voire incompris, ils ont été autant de repères vivants dans le chemin que l’Esprit-Saint nous a fait parcourir.

Il n’est pas abusif, me semble-t-il, de découvrir par eux comment le Christ, l’unique Prophète des temps nouveaux, a voulu que soit manifestée sa mission prophétique en quelques-uns de ses serviteurs. Le Père Caffarel est l’un des plus éminents. C’est donc non seulement sa reconnaissance personnelle qu’exprime l’Archevêque de Paris, mais la reconnaissance de nombreux prêtres de ma génération : en des temps difficiles, il nous a confortés, interrogés, orientés avec hardiesse, courage, originalité.

C’est la reconnaissance de l’Église envers l’un de ses prêtres dont le ministère a été si fécond, que je dois manifester. N’abusons pas du terme de « prophète » : Seul Dieu les désigne. Et pourtant, je l’ai employé au sujet du Père Caffarel.

Je ne veux pas ici retracer sa biographie que vous connaissez et dont, j’espère, vous ferez bientôt un récit circonstancié, car c’est l’histoire spirituelle de tout ce siècle en notre pays qui s’y trouve mêlée. À le suivre, nous recevons l’intelligence de ce que nous vivons aujourd’hui, nous comprenons mieux ce qui s’est passé et qui anticipait, préparait ce qui adviendra demain. Il a comme d’instinct, par une pénétrante perception, découvert les points d’ancrage essentiels de la vie des chrétiens et de la vie de l’Église.

Deux préoccupations ont orienté toute son action dans la diversité de ses initiatives :

  • d’une part, la vie du couple, la famille, l’amour humain ;
  • et, d’autre part, l’amour de Dieu et la prière.

Les dernières décennies de sa vie, le long et silencieux enfouissement à Troussures en sont l’éclatant témoignage. Non qu’il y ait là deux éléments qui s’équilibreraient et se compenseraient l’un l’autre, mais plutôt, me semble-t-il, une unique et forte intuition de notre siècle et de sa situation spirituelle. J’ai donc osé employer le mot “prophète » ; il serait plus modeste et exact de dire que le Père Caffarel a prodigieusement anticipé ce qu’allait devenir le couple ; j’ai eu l’occasion, voilà quelques mois, d’aborder ce thème devant les Équipes Notre-Dame. En effet, quelle n’a pas été notre surprise, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de le voir renouveler la compréhension chrétienne du sacrement de mariage ! Il en découvrait la mission ; il magnifiait la dignité de l’amour humain, à une époque où personne ne soupçonnait encore combien il serait menacé par l’évolution même des mœurs et de la culture. En même temps, il proposait à des couples non seulement de s’engager dans cette découverte exigeante de la dimension spirituelle et sacramentelle du mariage, mais aussi de répondre à Dieu qui les appelle à la sainteté.

Cette seconde face que j’appellerai “contemplative’’ apparaît dès le départ. Car la découverte de la splendeur d’humanité que le Christ nous révèle se fait à la mesure de la découverte de la profondeur de vie divine que le Christ nous propose. Le chemin de la dignité de l’amour dans toutes ses dimensions ne peut se séparer du chemin de la Vie nouvelle, de l’oubli de soi, du don que Dieu fait de lui-même à ses serviteurs. Alors que bouillonnait la réflexion des chrétiens autour de ce qui allait devenir “l’Apostolat des Laïcs”, le Père Caffarel a mis la barre au plus haut : il a proposé aux laïcs de ne désirer rien moins que la sainteté. Et la sainteté, dans et par le sacrement de mariage, grâce à la constitution de ces équipes : adoptant la forme alors répandue d’un “mouvement”, l’ambition de la vie communautaire y apparaissait avec une force novatrice surprenante. Il a placé la barre si haut que les uns lui reprochèrent ce qu’ils jugeaient un élitisme, d’autres une fuite devant les responsabilités sociales et politiques. Les plus anciens parmi vous se souviennent des difficultés qu’ils ont rencontrées et auxquelles le Père Caffarel a dû faire face.

En tout cela, il anticipait le souffle du deuxième Concile du Vatican sur la vocation des Laïcs : vocation à la sainteté. Précisément, les fidèles du Christ, par la grâce du sacrement de baptême et de mariage, accomplissent leur vocation d’homme et de femme « dans le monde de ce temps”. Le Père Caffarel anticipait – et cela semblait peu prévisible – la nécessité de donner une force surnaturelle à l’humanité de notre vie pour qu’elle soit capable d’affronter les crises à venir : celles de ce temps-ci. Vous voyez pour quel combat, sans le savoir, pour quel témoignage, sans le soupçonner, parfois pour quel martyre le Seigneur nous préparait ainsi, afin que vive cette flamme de l’amour au milieu de contradictions et de difficultés plus grandes sans doute qu’autrefois. Cet esprit était simultanément conduit dans l’apprentissage de l’amour de Dieu, dans l’approfondissement de la foi de l’Église, la lecture de l’Évangile, dans la vie fraternelle et l’échange mutuel qui permettent de ne pas errer au gré de ses 13 illusions, de ses désirs, mais d’être sans cesse soutenu, vérifié d’une certaine façon, confronté à l’amitié et l’exigence de ses frères dans la foi.

Vint le moment où le Père Caffarel choisit de s’enfoncer dans la prière, l’oraison : les années de Troussures. Je ne les considère pas comme une retraite, même si pour certains elles furent ainsi vécues et si lui-même, peut-être, en a parfois donné l’impression. Nous devançant tous, il nous a ainsi montré le cœur de l’existence chrétienne, sans lequel rien ne tient. En regard du chemin parcouru auparavant, nous voyons comment celui des années soixante-dix puis quatre-vingts n’est pas sans signification ecclésiale dans la situation que nous vivons en France. Un homme de cette trempe est bien plus qu’un guide … un initiateur, alors même qu’il se tait et accepte dans le silence de se mettre face à ce mystère de toute grâce. Contemplatif, il n’a pas cessé d’être un homme d’action. La rigueur de son ministère et de sa vie à Troussures en donne un témoignage riche de sens.

Le Père Caffarel a voulu qu’on ne parle plus de lui, jusque dans sa mort. Monseigneur Thomazeau m’avait averti de ses derniers moments et de sa volonté d’être enterré, sinon dans le secret, du moins dans l’humilité la plus complète, au risque de se soustraire à l’affection et à la reconnaissance de tous ceux qui voyaient en lui un guide, un père, un ami, un témoin pour notre siècle. Il avait pressenti ce que les lectures que nous avons entendues et qu’il avait si souvent commentées nous rappellent.

La première, cette page de l’Apocalypse (3, 14-22), est une introduction à la prière où chacun est amené à découvrir ce qu’il est sous le regard de Dieu et donc à faire la vérité au lieu de rester dans le mensonge, à se dévoiler devant son seigneur, réconforté parce que Dieu veut faire en nous sa demeure.

Quant à ce passage de l’Évangile de Saint-Jean (12,20-33), l’apôtre nous rapporte l’un des moments cruciaux de la montée du Christ à Jérusalem. Voici que des Grecs, prophétiquement – car ils représentent les païens des 14 nations du monde – veulent voir Jésus. C’est pourquoi le Christ répond qu’en cela l’heure est venue où le Fils est glorifié. Ce temps où les païens veulent voir Jésus par les yeux de la foi est celui que nous vivons et la gloire du Fils se manifeste en ces hommes et ces femmes qui s’approchent du Christ dans l’illumination du baptême. Jésus nous en donne le prix par l’apologie du grain de blé tombé en terre. Le mystère de sa Passion est la clef de son amour, le chiffre de toute sa vie.

Alors que Jésus nous appelle à le suivre, l’évangéliste nous fait pressentir le trouble devant lequel se trouve le Messie, cette angoisse devant sa propre mort qu’il exprimera à Gethsémani. Ni révolte ou refus, mais bouleversement et combat spirituel. Le Christ doit dire oui, avec une plus grande profondeur encore ; c’est pour cela qu’il est parvenu à cette heure : « Père, glorifie ton Nom ». Dans l’obéissance du Fils, dans le don de sa vie, s’accomplit la glorification du Père qui l’atteste elle-même : “Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore”. Cette voix qui se fait entendre du ciel est incompréhensible pour la foule, mais est comprise de ceux pour qui le Père l’a voulu. Il n’est pas interdit de penser que le Père Caffarel, au moment de sa rencontre avec son Seigneur, a vécu quelque chose de ce que cet Évangile nous dit.

Le Christ Jésus nous invite à le suivre pour être avec lui, là où il est, pour connaître ce qu’il connaît. J’espère, je crois que le Père des cieux a conforté son serviteur et lui a accordé, jusque dans l’offrande peut-être déchirante de son existence, la consolation d’un amour plus grand encore, enfin rassasié par Celui qu’il a tant aimé.

En cet amour, il rejoint l’immense Église qui échappe à nos yeux ; le Père Caffarel continue de participer à l’œuvre du salut pour laquelle il a reçu le sacrement de l’Ordre. Prêtre du Christ, il participe ainsi au service sacerdotal du Christ Jésus pour son Corps qui est l’Église ».

3. Témoignage du Père Paul-Dominique Marcovits

Intervention du Père Paul-Dominique Marcovits, o.p. Postulateur de la cause du Père Caffarel pour Brasilia 2012

Le Père Henri Caffarel, l’homme de la rencontre.
Permettez au postulateur de la cause du Père Caffarel de vous rappeler que tout a commencé ici, au Brésil. Ce sera ma manière à moi et à la vice-postulatrice, Marie-Christine Genillon, de dire notre reconnaissance aux équipiers de ce pays. En 2004, les responsables internationaux des Équipes Notre-Dame, Gérard et Marie-Christine de Roberty, et le conseiller spirituel international, Mgr François Fleischmann, visitent les équipiers du Brésil. Ils remarquent non seulement un attachement de tous au Père Caffarel venu trois fois les visiter, mais ils constatent surtout « une présence » du fondateur des Équipes. Un saint, c’est d’abord quelqu’un de « vivant » à qui chacun s’adresse aujourd’hui pour vivre et traverser les difficultés de l’existence. C’est pourquoi les Équipes ont demandé à l’archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, d’ouvrir la cause de leur fondateur. Le Père Caffarel est un vivant pour nous. Il doit devenir un vivant pour tous ! Il n’est pas permis aux équipiers de le garder pour eux : le Père Caffarel doit rayonner dans l’Église et au-delà…

Quel est le but poursuivi ? Le bien des couples et de ceux qui veulent faire oraison. Le but est de montrer que le mariage est une Bonne Nouvelle pour tous ceux qui s’aiment et que la prière est source de vie et d’amour. La vie, la personnalité du Père Caffarel, son enseignement communiqué dans ses livres, les œuvres qu’il a fondées, sont d’une richesse telle que tout cela doit être partagé à tous.
Le Père Caffarel est un homme de la rencontre. Précisons que ce n’est jamais lui qui a cherché ces rencontres qui ont façonné sa vie. Elles se sont imposées à lui.

C’est d’abord Dieu qui est venu. Vous connaissez le récit qui résume toute sa vie. « À vingt ans, Jésus-Christ, en un instant, est devenu quelqu’un pour moi. Oh, rien de spectaculaire. En ce lointain jour de mars 1923, j’ai su que j’étais aimé et que j’aimais, et que désormais entre lui et moi ce serait pour la vie. Tout était joué » (Jean Allemand, Henri Caffarel, un homme saisi par Dieu, éditions des Équipes Notre-Dame, p. 14). Le Seigneur s’est imposé à lui. Ce fut sa joie, sa vie. C’est la première rencontre. Tout est centré sur l’amour que Dieu lui révèle : il est aimé de Dieu, il aime Dieu, tout est fixé, « Tout était joué », dit-il exactement. Toute sa vie sera bâtie sur cet amour réciproque entre Dieu et lui.

Les deux autres rencontres déterminantes du Père Caffarel sont dans la continuité, elles sont toujours l’œuvre de Dieu : rencontre des foyers en 1939 lui demandant de les conduire sur le chemin de la sainteté et à qui il répond : « Cherchons ensemble » ; et rencontre des veuves en 1943 lui demandant de les conduire sur ce nouveau chemin auxquelles il répond également : « Cherchons ensemble ». Lorsque le Seigneur se manifeste à quelqu’un, c’est pour lui confier une mission : faire du bien aux autres. Le Père Caffarel désire que nous fassions l’expérience de l’amour de Dieu. Mission essentielle !

Sur sa tombe, le Père Caffarel a fait écrire : « Viens et suis-moi ». Ce fut ainsi. Le Seigneur a conduit la vie de son serviteur pour qu’il soit au service de l’amour révélé lors de sa vocation en 1923 : l’amour dans le mariage, l’amour plus fort que la mort dans le veuvage. Plus largement, le Seigneur a mis dans le cœur du Père Caffarel un immense désir, je le cite : « Je n’ai qu’un désir : moi-même entrer plus avant dans cette intimité avec le Christ, et cet autre désir d’amener les autres à cela, parce que cela a été capital dans ma vie, cela m’a donné la joie de vivre, la grâce de vivre, l’élan de vivre. Aussi bien je ne peux pas ne pas souhaiter pour les autres cette rencontre avec le Christ vivant, cette découverte que Dieu est amour. » (Jean Allemand, Henri Caffarel, un homme saisi par Dieu, END, p. 15). Dieu est au centre de tout. Quand le Père Caffarel a ouvert la Maison internationale de prière à Troussures, il poursuit toujours le même but. « Il faut dire aux hommes combien chacun est aimé de Dieu ».

À Troussures, une prière que chacun pouvait s’approprier est déposée sur différentes tables : elle n’est peut-être pas du Père Caffarel, mais elle est caractéristique de l’amour de Dieu que le Père voulait faire connaître. Je vous lis quelques lignes ; c’est Dieu qui parle à celui qui vient avec ses lourdeurs et ses espoirs : « Je connais ta misère, les combats et les tribulations de ton âme ; la faiblesse et les infirmités de ton corps ; je sais ta lâcheté, tes péchés, tes défaillances ; je te dis quand même : ‘‘Donne-moi ton cœur, aime-moi tel que tu es.’’ » Le postulateur se souvient de ceux et celles qui ont connu le Père Caffarel et qui ont trouvé en lui un témoin de la large et profonde miséricorde de Dieu. Ses écrits nous touchent toujours : le Père Caffarel nous parle.

La vie du Père Caffarel trouve sa source en Dieu. Il se concentre sur lui, il organise tout autour de la rencontre avec son Seigneur. Il a pu paraître exigeant… (« Soyez exigeants, vous ne décevrez jamais », aimait-il dire) ; il a semblé parfois un peu trop sérieux (sauf avec les Brésiliens, car il n’a pu résister à leur bonne humeur !) ; il mange peu (ce qui est impensable pour des Français !)… Notre fondateur n’est donc pas une momie parfaite. Mais il a toujours été l’homme de la rencontre. Ce qui le passionne, son regard le suggère, un regard qui transperce, un regard qui n’est pas indiscret, mais qui semble, humblement, respectueusement, inviter l’autre à lui parler de l’essentiel, de Dieu. Il cherche à discerner la trace de Dieu dans le cœur de celui qui vient le voir pour, lui aussi, recevoir la lumière de ce prêtre qui a rencontré le Seigneur.

Le Père Caffarel aimait passionnément l’Église. Il était prêtre du diocèse de Paris. Les archevêques de Paris ont toujours compris et soutenu ses œuvres. C’est l’ancien archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger, qui lui a donné le titre de « prophète pour notre temps ». Il montre ainsi la fécondité du Père Caffarel qui a mis en lumière le mariage comme « chemin de sainteté ». Le Père Caffarel était en profonde harmonie avec le Pape Paul VI. Lorsque, en 1970, le Père Caffarel est venu à Rome avec plus de trois mille couples, le Pape a fait un long discours sur le mariage qui transporta de joie le Père et les équipiers, tant ils y ont retrouvé la belle spiritualité conjugale dont les Équipes vivaient. Ce jour-là le Pape a remis au Père Caffarel un calice que son neveu, le Père Voisin, nous a prêté pour notre rassemblement : c’est un peu du Père Caffarel, notre fondateur, qui visite à nouveau le Brésil.

Il faudrait dire davantage sur le Père Caffarel. Mais il est très discret sur lui, sur sa famille. Affaire de tempérament ? Peut-être. Surtout, pour lui, être prêtre, c’est s’effacer devant Dieu qui, lui seul, doit être rencontré. Conduire les autres à Dieu, voilà l’essentiel pour lui. Pourtant, il est tout entier présent dans ses prédications, ses écrits. Aussi, je voudrais vous livrer les impressions du Père Caffarel sur son arrivée au Brésil. Vous me direz que les lignes que je vais vous lire peuvent s’appliquer à bien d’autres réalités. Lue ici, en ce pays, cette lettre sur la prière écrite à un ami, devient une confidence : « Une sensation de détresse nous saisit lorsque, à notre arrivée dans une ville inconnue (au port, à la gare, à l’aéroport), personne n’est là pour nous attendre. En revanche, si un visage joyeux nous accueille, si des mains se tendent vers nous, nous voilà aussitôt merveilleusement réconfortés, délivrés de la cruelle impression d’être égarés, perdus. Qu’importe, alors, ces coutumes, cette langue, toute cette grande ville déconcertante : nous supportons très bien d’être pour tous un étranger, du moment que, pour quelqu’un, nous sommes un ami. (…) »

Le Père Caffarel aussitôt passe à une confidence plus haute sur lui, plus vitale pour nous. Il écrit à son ami : « Je voudrais, cher ami, qu’en allant à l’oraison vous ayez toujours la forte conviction d’être attendu : attendu par le Père, par le Fils et par le Saint-Esprit, attendu dans la Famille trinitaire. Où votre place est prête : rappelez-vous, en effet, ce que le Christ a dit : ‘‘Je vais vous préparer une place’’ » (Henri Caffarel, Présence à Dieu, Cent lettres sur la prière, Parole et Silence, Paris, 2000, p. 9). Combien ont décrit le Père Caffarel devant le Saint-Sacrement, assis sur son petit banc de prière. Rien ne bouge : il demeure en Dieu.

Cette lettre que je viens de vous lire, est du ‘‘pur Caffarel’’ ! Il aimait dire au sujet d’un écrit ou d’une homélie : une idée, une image, un sentiment. L’idée est claire : Dieu nous attend toujours. Avant que nous allions vers lui, il nous attend. Une image : l’accueil d’amis, il devait se souvenir de son arrivée au Brésil. Un sentiment : celui de l’amour, amour que nous désirons tous recevoir et donner ! À tout instant le Père Caffarel nous ramène à Dieu. Et en même temps, il nous rejoint en profondeur. Nous voilà touchés et émerveillés par Dieu !

Voici encore une autre image. Le Père Caffarel écrit : « Quand Dieu nous présente celui dont il veut faire le Père de tous les saints, Abraham, il lui montre les étoiles du ciel en lui disant : ‘‘C’est ça ta postérité.’’ » Et le Père Caffarel de traduire : « Ta sainteté, ce sera ta fécondité’’ ». Nous sommes la « fécondité » du Père Caffarel. Nous demandons à l’Église de reconnaître sa sainteté. Nous avons trouvé source de vie dans les grâces que le Seigneur a données à notre fondateur. À nous d’être saints, par la grâce du mariage ou la grâce du sacerdoce ! Les fruits montreront la sainteté de l’arbre.

Permettez-moi maintenant de vous donner quelques nouvelles précises sur le déroulement de l’enquête sur la cause du Père Caffarel. Elle a été ouverte le 25 avril 2006 par l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois, à la demande des Équipes Notre-Dame qui, dans ce but, se sont constituées en « Association des Amis du Père Caffarel » et c’est l’Équipe Responsable Internationale qui en assume la responsabilité, particulièrement Maria Carla et Carlo Volpini.

Depuis cette ouverture, le délégué épiscopal nommé pour cette enquête, Mgr Maurice Fréchard, ancien archevêque de Pau, a reçu de nombreux témoins dont la plupart ont été présentés par moi-même, postulateur, et par la vice-postulatrice, Marie-Christine Genillon. Il a reçu également, le rapport des censeurs théologiens qui ont examiné la rectitude de foi du Père Caffarel. Il a enfin reçu le rapport de la commission historique qui a examiné la justesse des informations concernant la vie du Père Caffarel.

La vice-postulatrice a classé toutes les archives concernant la cause. Mgr François Fleischmann, ancien conseiller spirituel international, a numérisé près de trois mille pages, éditoriaux de revues et textes divers et, comme chancelier du diocèse de Paris, a authentifié un nombre considérable de documents…

Nous pensons que cette enquête diocésaine sera terminée à la fin de cette année 2012. L’ensemble du travail sera transmis à la Congrégation pour les causes des saints, à Rome. S’ouvrira alors la deuxième partie du chemin sous la responsabilité d’un nouveau postulateur, le Père Angelo Paleri, franciscain conventuel, postulateur général de son Ordre et équipier Notre-Dame. Moi-même, j’aurai à rédiger la ‘‘positio’’, c’est-à-dire la synthèse de l’enquête qui montre la sainteté du Père Caffarel. Les nominations officielles seront données en 2013.
Vous n’êtes pas obligés de retenir par cœur tout ce que je viens de vous dire… Il suffit de comprendre qu’une enquête pour une cause demande du temps et du travail et s’accomplit selon des règles strictes. Mais si je vous raconte tout cela c’est dans le but suivant : le Père Caffarel sera béatifié si Dieu le veut… Mais aussi si vous le voulez ! Si vous le demandez au Seigneur ! L’Église reconnaît alors cette réalité. Pour cela, trois actes à accomplir :

  • d’abord lire et méditer les écrits du Père Caffarel sur le mariage et la prière. Le connaître, c’est l’aimer et c’est se mettre à son école.
  • Ensuite, vivre votre grâce du mariage, aidés en particulier par la Charte : le mariage est un chemin de sainteté. La sainteté de votre vie montrera aussi la sainteté du Père Caffarel qui vous a conduits. Les prêtres, inséparables des équipiers, sont aussi témoins de ce que le Père Caffarel a été et est pour tous.
  • Enfin, dire souvent la prière qui demande la canonisation du Père Caffarel. Demander, demander au Seigneur des grâces et un miracle, signe de la présence et de l’intercession du Père Caffarel pour nous. Je vous demande donc, instamment, de nous communiquer tout récit de grâce que vous avez reçue par l’intercession du Père Caffarel, grâce pour votre vie morale, grâce spirituelle ou, bien sûr, grâce pour votre vie physique. Vous savez qu’un miracle est une guérison physique, instantanée, définitive et inexplicable par la science. Un miracle fleurit toujours parmi un peuple qui demande toutes les grâces.

Pour conclure. Une canonisation, dont la première étape est la béatification, est pour le bien du peuple chrétien et de la société humaine. Nous pensons que le message d’amour et de prière du Père Caffarel doit être connu par tous. Le Père Caffarel nous a été donné par Dieu, nous devons le faire connaître aux couples et à tous ceux qui cherchent le Seigneur. Nous ne pouvons garder un tel trésor pour nous. Parler du Père Henri Caffarel, c’est évangéliser les hommes et les femmes en quête de bonheur.

IV. Prière du Père Caffarel

Toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur,
laisse-moi te rejoindre dans le fond de mon cœur.

Ô Toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur,
je t’adore mon Dieu dans le fond de mon cœur.

Ô Toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur,
loué sois-tu, Seigneur, dans le fond de mon cœur.

Ô Toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur,
je m’offre à ton amour dans le fond de mon cœur.

Ô Toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur,
que surgisse ta joie dans le fond de mon cœur.

Ô Toi qui es chez toi dans le fond de mon cœur,
garde-moi de tout mal dans le fond de mon cœur.

V. Bibliographie

Du Père Caffarel

  • CAFFAREL, Henri, Propos sur l’amour et la grâce, Paris, Feu Nouveau, 1954 
  • CAFFAREL, Henri, L’amour plus fort que la mort, avec A.-M. CARRE, L. LOCHET, A.-M. ROGUET, Paris, Feu Nouveau, 1958 et Paris, Cerf, Coll. Foi Vivante, 1958
  • CAFFAREL, Henri, Lettres sur la prière, Paris, Feu Nouveau, 1960
  • CAFFAREL, Henri, Présence à Dieu. Cent lettres sur la prière, Paris, Feu Nouveau, 1967 et Paris, Parole et Silence, 2000
  • CAFFAREL, Henri, La pensée de Paul VI sur Sexualité, Mariage, Amour, Introduction et notes du Chanoine H. Caffarel, Texte intégral du discours du Pape aux Équipes Notre-Dame le 4 mai 1970, Paris, Feu Nouveau, 1970
  • CAFFAREL, Henri, Amour, qui es-tu ? Grandes pages sur l’amour d’écrivains contemporains présentées par Henri Caffarel, Paris, Feu Nouveau, 1971
  • CAFFAREL, Henri, Nouvelles lettres sur la prière, Paris, Feu Nouveau, 1975 et  Paris, Parole et Silence, 2006
  • CAFFAREL, Henri, Aux carrefours de l’amour, Paris, Feu Nouveau, 1980 et  Paris, Parole et Silence, 2001
  • CAFFAREL, Henri, Cinq soirées sur la prière intérieure, Paris, Feu Nouveau, 1980 et Paris, Parole et Silence, 2003
  • CAFFAREL, Henri, Dieu, ce nom le plus trahi, Anthologie, Paris, Feu Nouveau, 1980
  • CAFFAREL, Henri, Camille C. ou l’emprise de Dieu, Paris, Feu Nouveau, 1982
  • CAFFAREL, Henri, Le portrait spirituel de Camille C., Paris, Feu Nouveau, 1982
  • CAFFAREL, Henri, « Prends chez toi Marie, ton épouse », Paris, Feu Nouveau, 1983 et Paris, Parole et Silence, 2005
  • CAFFAREL, Henri, L’oraison. Jalons sur la route, Paris, Parole et Silence, 2006 (réédition d’une brochure des Editions du Feu Nouveau)

SUR LE PÈRE Caffarel

  • Actes du colloque sur le Père Caffarel au Collège des Bernardins, les 3 et 4 décembre 2010

  • Le Père Caffarel – Des Équipes Notre-Dame à la maison de prière – 1903-1996
    Editions Collège des Bernardins/Lethielleux, 2011

  • L’amour conjugal, chemin vers Dieu, de Henri Caffarel, Les Amis du Père Caffarel, 2019

  • ALLEMAND, Jean et Annick, Les Équipes Notre-Dame. Essor et mission des couples chrétiens, Paris, Equipes Notre-Dame, 1988

  • Henri Caffarel. Un homme saisi par Dieu, Paris, Equipes Notre-Dame, 1997

  • Prier 15 jours avec le Père Caffarel, fondateur des Équipes Notre-Dame, Paris, Nouvelle Cité, 2001,

  • Gérard et Marie-Christine de ROBERTY : Père Henri Caffarel : À la rencontre, Mesnil Saint-Loup, Editions Le Livre Ouvert, Coll. Paroles de Vie, 2007